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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Waldeck eut un bras emporté. Tandis que quelques gouttes de sang coulaient sous les murs de Thionville, le sang coulait à torrents dans les prisons de Paris : ma femme et mes sœurs étaient plus en danger que moi.


Nous levâmes le siège de Thionville et nous partîmes pour Verdun, rendu le 2 septembre aux alliés. Longwy, patrie de François de Mercy, était tombé le 23 août. De toutes parts des festons et des couronnes attestaient le passage de Frédéric-Guillaume.

Je remarquai, au milieu des paisibles trophées, l’aigle de Prusse attachée sur les fortifications de Vauban : elle n’y devait pas rester longtemps ; quant aux fleurs, elles allaient bientôt voir se faner comme elles les innocentes créatures qui les avaient cueillies. Un des meurtres les plus atroces de la Terreur fut celui des jeunes filles de Verdun.

« Quatorze jeunes filles de Verdun, dit Riouffe, d’une candeur sans exemple, et qui avaient l’air de jeunes vierges parées pour une fête publique, furent menées ensemble à l’échafaud. Elles disparurent tout à coup et furent moissonnées dans leur printemps ; la Cour des femmes avait l’air, le lendemain de leur mort, d’un parterre dégarni de ses fleurs par un orage. Je n’ai jamais vu parmi nous de désespoir pareil à celui qu’excita cette barbarie[1]. »

  1. Mémoires d’un détenu, pour servir à l’histoire de la tyrannie de Robespierre, par Honoré Riouffe. Publiés peu de temps après le 9 thermidor, ces Mémoires, produisirent une immense sensation. — Honoré-Jean Riouffe était né à Rouen, le 1er  avril 1764. Après avoir été secrétaire, puis président du Tribunat, il administra successivement, sous l’Empire, les préfectures de la Côte-