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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de notre amour, l’espoir de te retrouver toujours aimable, toujours fidèle, d’embrasser ma chère fille, soutiennent seuls l’infortuné[1]. »


La fidélité n’était pour rien dans tout cela.

Cette unanimité de plaintes est l’exagération naturelle d’hommes tombés de la hauteur de leurs illusions : de tout temps les Français ont rêvé l’Orient ; la chevalerie leur en avait tracé la route ; s’ils n’avaient plus la foi qui les menait à la délivrance du saint tombeau, ils avaient l’intrépidité des croisés, la croyance des royaumes et des beautés qu’avaient créées, autour de Godefroi, les chroniqueurs et les troubadours. Les soldats vainqueurs de l’Italie avaient vu un riche pays à prendre, des caravanes à détrousser, des chevaux, des armes et des sérails à conquérir ; les romanciers avaient aperçu la princesse d’Antioche, et les savants ajoutaient leurs songes à l’enthousiasme des poètes. Il n’y a pas jusqu’au Voyage d’Anténor[2] qui ne passât au début pour une docte réalité : on allait pénétrer la mystérieuse Égypte, descendre dans les catacombes, fouiller les Pyramides, retrouver des manuscrits ignorés, déchiffrer des hiéroglyphes et réveiller Thermosiris. Quand, au lieu de tout cela,

  1. Cette lettre est datée de Rosette, le 17 thermidor an IV (4 août 1798). Voir Correspondance de l’armée française en Égypte, pages 197 et suiv.
  2. Le Voyage d’Anténor en Grèce et en Asie, par Étienne Lantier, parut en 1798, l’année même de l’expédition d’Égypte. Il eut un succès prodigieux et fut traduit dans presque toutes les langues. Dans cet ouvrage, imité du Voyage du jeune Anacharsis, l’auteur s’est attaché surtout à peindre le côté galant et licencieux des mœurs grecques, ce qui lui valut d’être surnommé l’Anacharsis des boudoirs.