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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Conduit par les religieux du couvent de Jaffa dans les sables au sud-ouest de la ville, j’ai fait le tour de la tombe, jadis monceau de cadavres, aujourd’hui pyramide d’ossements ; je me suis promené dans des vergers de grenadiers chargés de pommes vermeilles, tandis qu’autour de moi la première hirondelle arrivée d’Europe rasait la terre funèbre.

Le ciel punit la violation des droits de l’humanité : il envoya la peste ; elle ne fit pas d’abord de grands ravages. Bourrienne relève l’erreur des historiens qui placent la scène des Pestiférés de Jaffa au premier passage des Français dans cette ville ; elle n’eut lieu qu’à leur retour de Saint-Jean-d’Acre. Plusieurs personnes de notre armée m’avaient déjà assuré que cette scène était une pure fable ; Bourrienne confirme ces renseignements :

« Les lits des pestiférés », raconte le secrétaire de Napoléon, « étaient à droite en entrant dans la première salle. Je marchais à côté du général ; j’affirme ne l’avoir pas vu toucher à un pestiféré. Il traversa rapidement les salles, frappant légèrement le revers jaune de sa botte avec la cravache qu’il tenait à la main. Il répétait en marchant à grands pas ces paroles : « Il faut que je retourne en Égypte pour la préserver des ennemis qui vont arriver[1]. »

Dans le rapport officiel du major général, 29 mai, il n’est pas dit un mot des pestiférés, de la visite à l’hôpital et de l’attouchement des pestiférés.

Que devient le beau tableau de Gros ? Il reste comme un chef-d’œuvre de l’art[2].

  1. Mémoires de M. de Bourrienne, tome II, p. 256.
  2. Antoine-Jean, baron Gros (1771-1835). Ce fut le roi