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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

colons, je vis le soleil se lever avec moins de souci que le maître des Tuileries.

J’étais dans des enchantements sans fin ; sans être madame de Sévigné, j’allais, muni d’une paire de sabots, planter mes arbres dans la boue, passer et repasser dans les mêmes allées, voir et revoir tous les petits coins, me cacher partout où il y avait une broussaille, me représentant ce que serait mon parc dans l’avenir, car alors l’avenir ne manquait point. En cherchant à rouvrir aujourd’hui par ma mémoire l’horizon qui s’est fermé, je ne retrouve plus le même, mais j’en rencontre d’autres. Je m’égare dans mes pensées évanouies ; les illusions sur lesquelles je tombe sont peut-être aussi belles que les premières ; seulement elles ne sont plus si jeunes ; ce que je voyais dans la splendeur du midi, je l’aperçois à la lueur du couchant. — Si je pouvais néanmoins cesser d’être harcelé par des songes ! Bayard sommé de rendre une place, répondit : « Attendez que j’aie fait un pont de corps morts, pour pouvoir passer avec ma garnison. » Je crains qu’il ne me faille, pour sortir, passer sur le ventre de mes chimères.

Mes arbres, étant encore petits, ne recueillaient pas les bruits des vents de l’automne ; mais, au printemps, les brises qui haleinaient les fleurs des prés voisins en gardaient le souffle, qu’elles reversaient sur ma vallée.

Je fis quelques additions à la chaumière ; j’embellis sa muraille de briques d’un portique soutenu par deux colonnes de marbre noir et deux cariatides de femmes de marbre blanc : je me souvenais d’avoir passé à Athènes. Mon projet était d’ajouter une tour au bout