Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tés ne trouverait-on pas si on pouvait aborder la ville royale, puisque si loin d’elle on découvre des choses si merveilleuses ! La puissance romaine, désespérant d’égaler les Égyptiens, a cru faire assez pour sa grandeur d’emprunter les monuments de leurs rois. »

Napoléon se chargea d’exécuter les conseils que Bossuet donnait à Louis XIV. « Thèbes, » dit M. Denon, qui suivait l’expédition de Desaix, « cette cité reléguée que l’imagination n’entrevoit plus qu’à travers l’obscurité des temps, était encore un fantôme si gigantesque qu’à son aspect l’armée s’arrêta d’elle-même et battit des mains. Dans le complaisant enthousiasme des soldats, je trouvai des genoux pour me servir de table, des corps pour me donner de l’ombre… Parvenus aux cataractes du Nil, nos soldats, toujours combattant contre les beys et éprouvant des fatigues incroyables, s’amusaient à établir dans le village de Syène des boutiques de tailleurs, d’orfèvres, de barbiers, de traiteurs à prix fixe. Sous une allée d’arbres alignés, ils plantèrent une colonne milliaire avec l’inscription : Route de Paris… En redescendant le Nil, l’armée eut souvent affaire aux Mecquains. On mettait le feu aux retranchements des Arabes : ils manquaient d’eau ; ils éteignaient le feu avec les pieds et les mains ; ils l’étouffaient avec leurs corps. Noirs et nus, dit encore M. Denon, on les voyait courir à travers les flammes : c’était l’image des diables dans l’enfer. Je ne les regardais point sans un sentiment d’horreur et d’admiration. Il y avait des moments de silence dans lesquels une voix se faisait entendre ;