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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Ces plaisirs, loin d’être l’amour, n’avaient même pas une vraie puissance sur un homme de la mort : il aurait incendié Persépolis pour son propre compte, non pour les joies d’une courtisane. « François Ier, dit Tavannes, voit les affaires quand il n’a plus de femmes ; Alexandre voit les femmes quand il n’a plus d’affaires. »

Les femmes, en général, détestaient Bonaparte comme mères ; elles l’aimaient peu comme femmes, parce qu’elles n’en étaient pas aimées : sans délicatesse, il les insultait[1], ou ne les recherchait que pour

  1. « Il n’est jamais sorti de sa bouche un seul mot gracieux ou seulement bien tourné vis-à-vis d’une femme… Il ne leur parle que de leur toilette, de laquelle il se déclare juge minutieux et sévère, et sur laquelle il leur fait des plaisanteries peu délicates, ou bien du nombre de leurs enfants, leur demandant en termes crus si elles les ont nourris elle-mêmes, ou les admonestant sur leurs relations de société. » C’est pourquoi « il n’y en a pas une qui ne soit charmée de le voir s’éloigner de la place où elle est. » (Mme  de Rémusat, Mémoires, II, 77, 179.) — Quelquefois, ajoute M. Taine (Le Régime moderne, I, 92), il s’amuse à les déconcerter ; il est médisant et railleur avec elles, en face, à bout portant comme un colonel avec ses cantinières : « Oui, mesdames, leur dit-il, vous occupez les bons habitants du faubourg Saint-Germain ; ils disent, par exemple, que vous, Madame A… vous avez telle liaison avec M. B… ; vous, Madame C, avec M. D… » Si, par des rapports de police, il découvre une intrigue, « il ne tarde guère à mettre le mari au courant de ce qui se passe ». — Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, p. 18 : « Il leur faisait quelquefois de mauvais compliments sur leur toilette ou leurs aventures, c’était sa manière de censurer les mœurs. » — Le comte Chaptal, Mes Souvenirs sur Napoléon, p. 321 : « Souvent même, il était malhonnête et grossier. Dans une fête de l’Hôtel de Ville, il répondit à Mme  ***, qui venait de lui dire son nom : « Ah ! bon Dieu ! on m’avait dit que vous étiez jolie… » ; à une autre : « C’est un beau temps pour vous que les campagnes de votre mari » ; à de jeunes personnes : « Avez-vous des enfants ? »