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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nions plus de succès sans que la veine française ne fût largement ouverte. Kœnigsberg est emporté[1] ; à Tilsit un armistice est conclu[2].

Napoléon et Alexandre ont une entrevue dans un pavillon, sur un radeau[3]. Alexandre menait en laisse le roi de Prusse qu’on apercevait à peine : le sort du monde flottait sur le Niémen, où plus tard il devait s’accomplir. À Tilsit on s’entretint d’un traité secret en dix articles. Par ce traité, la Turquie européenne était dévolue à la Russie, ainsi que les conquêtes que les armées moscovites pourraient faire en Asie. De son côté, Bonaparte devenait maître de l’Espagne et du Portugal, réunissait Rome et ses dépendances au royaume d’Italie, passait en Afrique, s’emparait de Tunis et d’Alger, possédait Malte, envahissait l’Égypte, ouvrant la Méditerranée aux seules voiles françaises, russes, espagnoles et italiennes : c’étaient des cantates sans fin dans la tête de Napoléon. Un projet d’invasion de l’Inde par terre avait déjà été concerté en 1800 entre Napoléon et l’empereur Paul Ier.

La paix est conclue le 7 juillet. Napoléon, odieux dès le début pour la reine de Prusse[4], ne voulut rien

  1. Le maréchal Soult l’occupa deux jours après la victoire de Friedland, le 16 juin. Kœnigsberg était la seconde capitale de la Prusse. Cette place servait d’entrepôt général aux armées ennemies. Soult lui imposa une contribution de huit millions de francs, s’y empara d’une quantité énorme de magasins, de munitions, de fusils anglais, et se rendit maître du fort de Pillau, qui assure la navigation de la Baltique.
  2. Le 21 juin.
  3. La première entrevue des empereurs Napoléon et Alexandre eut lieu le 25 juin.
  4. Depuis le début de la campagne, et jusqu’à la fin, Napoléon, dans ses Bulletins, n’avait cessé de cribler d’épigrammes la