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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de pouvoir, et la censure y consigna ma condamnation. M. Hoffman fit pourtant grâce à la bataille des Francs et à quelques autres morceaux de l’ouvrage ; mais si Cymodocée lui parut gentille, il était trop excellent catholique pour ne pas s’indigner du rapprochement profane des vérités du christianisme et des fables de la mythologie. Velléda ne me sauvait pas. On m’imputa à crime d’avoir transformé la druidesse germaine de Tacite en gauloise, comme si j’avais voulu emprunter autre chose qu’un nom harmonieux ! et ne voilà-t-il pas que les chrétiens de France, à qui j’avais rendu de si grands services en relevant leurs autels, s’avisèrent bêtement de se scandaliser sur la parole évangélique de M. Hoffman ! Ce titre des Martyrs les avait trompés ; ils s’attendaient à lire un martyrologe, et le tigre, qui ne déchirait qu’une fille d’Homère, leur parut un sacrilège.

Le martyre réel du pape Pie VII, que Bonaparte avait amené prisonnier à Paris, ne les scandalisait pas, mais ils étaient tout émus de mes fictions, peu chrétiennes, disaient-ils. Et ce fut M. l’évêque de Chartres[1]

  1. L’abbé Clausel de Montals qui devait devenir, sous la Restauration, évêque de Chartres. Mme  de Chateaubriand qui était beaucoup moins bonne que son mari, a fait durement expier au pauvre abbé sa critique des Martyrs. « Nous vîmes, écrit-elle dans ses Souvenirs, des gens se disant royalistes, des prêtres mêmes, sous prétexte que les Martyrs n’étaient pas tout à fait exempts des censures ecclésiastiques, se mettre à en dire pis que pendre. C’était une manière un peu hypocrite de faire sa cour… Ce fut ensuite, je le dis à regret, M. l’abbé H. de Clausel, aujourd’hui évêque de Chartres et frère de notre meilleur ami : il était alors grand vicaire d’Amiens et il pensa avec raison que ses diatribes lui vaudraient la croix d’honneur : il reçut effectivement quelque temps après cette insigne faveur ». — Voir, au tome II, l’Appendice sur les Quatre Clausel.