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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pérances par trop folles ; mais j’oubliais la réussite de mon premier ouvrage : dans ce pays, ne comptez jamais sur deux succès rapprochés ; l’un détruit l’autre. Si vous avez quelque talent en prose, donnez-vous de garde d’en montrer en vers ; si vous êtes distingué dans les lettres, ne prétendez pas à la politique : tel est l’esprit français et sa misère. Les amours-propres alarmés, les envies surprises par le début heureux d’un auteur, se coalisent et guettent la seconde publication du poète, pour prendre une éclatante vengeance :


Tous, la main dans l’encre, jurent de se venger.


Je devais payer la sotte admiration que j’avais pipée lors de l’apparition du Génie du christianisme ; force m’était de rendre ce que j’avais volé. Hélas ! point ne se fallait donner tant de peine pour me ravir ce que je croyais moi-même ne pas mériter ! Si j’avais délivré la Rome chrétienne, je ne demandais qu’une couronne obsidionale, une tresse d’herbe cueillie dans la ville éternelle.

L’exécuteur de la justice des vanités fut M. Hoffman[1], à qui Dieu fasse paix ! Le Journal des Débats n’était plus libre ; ses propriétaires n’y avaient plus

  1. François Benoît Hoffman (1760-1828). — Il avait débuté dans le Journal des Débats, en 1807, par des Lettres champenoises, où un soi-disant provincial, membre de l’Académie de Châlons, rend compte à un cousin de tout ce qu’il voit de curieux à Paris. Elles obtinrent un très vif succès. Ses articles sur les Martyrs parurent dans les Débats. Ils ont été recueillis au tome IX des Œuvres complètes d’Hoffman, p. 125 et suiv.