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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que Pie VI avait au doigt lorsqu’il expira : signe qu’il avait accepté les misères et les destinées de son devancier.

À deux lieues de Comana, saint Chrysostome logea aux établissements de saint Basilisque ; ce martyr lui apparut pendant la nuit et lui dit : « Courage, mon frère Jean ! demain nous serons ensemble. » Jean répliqua : « Dieu soit loué de tout ! » Il s’étendit à terre et mourut.

À Valence, Bonaparte commença la carrière d’où il s’élança sur Rome. On ne laissa pas le temps à Pie VII de visiter les cendres de Pie VI ; on le poussa précipitamment à Avignon : c’était le faire rentrer dans la petite Rome ; il y put voir la glacière dans les souterrains du palais d’une autre lignée de pontifes, et entendre la voix de l’ancien poète couronné[1], qui rappelait les successeurs de Saint Pierre au Capitole.

Conduit au hasard, il rentra dans les Alpes maritimes ; au pont du Var, il le voulut traverser à pied ; il rencontra la population divisée en ordres de métiers, les ecclésiastiques vêtus de leurs habits sacerdotaux, et dix mille personnes à genoux dans un profond silence. La reine d’Étrurie avec ses deux enfants, à genoux aussi, attendait le saint-père au bout du pont. À Nice, les rues de la ville étaient jonchées de fleurs. Le commandant, qui menait le pape à Savone, prit la nuit un chemin infréquenté par les bois ; à son grand

  1. Le poète Pétrarque, solennellement couronné au Capitole, le jour de Pâques, 8 avril 1341, de lauriers qu’il consacra sur le grand autel de Saint-Pierre. Il vécut longtemps à Avignon, qui était alors la résidence des papes.