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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le 26 et le 27 août, on s’aborde sur l’Elbe dans des champs déjà fameux[1]. Revenu de l’Amérique, après avoir vu Bernadotte à Stockholm, et Alexandre à Prague, Moreau a les deux jambes emportées d’un boulet à Dresde, à côté de l’Empereur de Russie : vieille habitude de la fortune napoléonienne. On apprit la mort du vainqueur de Hohenlinden, dans le camp français, par un chien perdu, sur le collier duquel était écrit le nom du nouveau Turenne ; l’animal, demeuré sans maître, courait au hasard parmi les morts : Te, janitor Orci[2] !

Le prince de Suède, devenu généralissime de l’armée du nord de l’Allemagne, avait adressé, le 15 d’août, une proclamation à ses soldats :

« Soldats, le même sentiment qui guida les Français de 1792, et qui les porta à s’unir et à combattre les armées qui étaient sur leur territoire, doit diriger aujourd’hui votre valeur contre celui qui, après avoir envahi le sol qui vous a vus naître, enchaîne encore vos frères, vos femmes et vos enfants. »

Bonaparte, encourant la réprobation unanime, s’élançait contre la liberté qui l’attaquait de toutes parts, sous toutes les formes. Un sénatus-consulte du

    juger de l’effet de la charge des 14 000 cavaliers du général Latour-Maubourg, dans la plaine de Reichenbach. Tout à coup, un boulet vint frapper un arbre, ricocha, tua le général Kirgener, de l’escorte, et atteignit mortellement Duroc au bas-ventre ; on le transporta dans une petite ferme, où il expira au bout de quelques heures. Ses cendres reposent aux Invalides, à côté de celles de l’Empereur.

  1. Bataille de Dresde (26 et 27 août 1813).
  2. Te Stygii tremuere lacus, te Janitor Orci.

    (Virgile, Énéide, viii, 296.)