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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sion législative d’agents payés par l’Angleterre : « Le nommé Lainé, disait-il, est un traître qui correspond avec le prince régent par l’intermédiaire de Desèze ; Raynouard, Maine de Biran et Flaugergues sont des factieux[1]. »

Le soldat s’étonnait de ne plus retrouver ces Polonais qu’il abandonnait et qui, en se noyant pour lui obéir, criaient encore : « Vive l’empereur ! » Il appelait le rapport de la commission une motion sortie d’un club de Jacobins. Pas un discours de Bonaparte dans lequel n’éclate son aversion pour la République dont il était sorti ; mais il en détestait moins les crimes que les libertés. À propos de ce même rapport il ajoutait : « Voudrait-on rétablir la souveraineté du peuple ? Eh bien, dans ce cas, je me fais peuple ; car je prétends être toujours là où réside la souveraineté. » Jamais despote n’a expliqué plus énergiquement sa nature : c’est le mot retourné de Louis XIV : « L’État, c’est moi. »

À la réception du premier jour de l’an 1814, on s’attendait à quelque scène. J’ai connu un homme attaché à cette cour, lequel se préparait à tout hasard à mettre l’épée à la main. Napoléon ne dépassa pas néanmoins la violence des paroles, mais il s’y laissa aller avec cette plénitude qui causait quelquefois de la confusion à ses hallebardiers mêmes : « Pourquoi, s’écria-t-il, parler devant l’Europe de ces débats domestiques ? Il faut laver son linge sale en famille. Qu’est-ce qu’un trône ? un morceau de bois recouvert d’un morceau d’étoffe : tout dépend de celui

  1. Allocution de Napoléon adressée, le 1er janvier, à la députation du Corps législatif.