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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et du spectre la supériorité de la puissance du faible, soutenu de la religion et du malheur.

Pie VII traversa Carcassonne, Béziers, Montpellier et Nîmes, pour réapprendre l’Italie. Au bord du Rhône, il semblait que les innombrables croisés de Raymond de Toulouse passaient encore la revue à Saint-Remy. Le pape revit Nice, Savone, Imola, témoins de ses afflictions récentes et des premières macérations de sa vie : on aime à pleurer où l’on a pleuré. Dans les conditions ordinaires, on se souvient des lieux et des temps du bonheur. Pie VII repassait sur ses vertus et sur ses souffrances, comme un homme dans sa mémoire revit de ses passions éteintes.

À Bologne, le pape fut laissé aux mains des autorités autrichiennes. Murat, Joachim-Napoléon, roi de Naples, lui écrivit le 4 avril 1814 :

« Très saint père, le sort des armes m’ayant rendu maître des États que vous possédiez lorsque vous fûtes forcé de quitter Rome, je ne balance pas à les remettre sous votre autorité, renonçant en votre faveur à tous mes droits de conquête sur ces pays. »

Qu’a-t-on laissé à Joachim et à Napoléon mourants ?

Le pape n’était pas encore arrivé à Rome qu’il offrit un asile à la mère de Bonaparte. Des légats avaient repris possession de la vie éternelle. Le 23 mai, au milieu du printemps, Pie VII aperçut le dôme de Saint Pierre. Il a raconté avoir répandu des larmes en revoyant le dôme sacré. Prêt à franchir la Porte du Peuple, le Pontife fut arrêté : vingt-deux orphelines vêtues de robes blanches, quarante-cinq jeunes filles portant de grandes palmes dorées, s’avancèrent en chantant des cantiques. La multitude criait : Hosanna !