Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
375
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Aube[1]. Parmi un feu roulant d’artillerie, un obus étant tombé au front d’un carré de la garde, le carré parut faire un léger mouvement : Bonaparte se précipite sur le projectile dont la mèche fume, il la fait flairer à son cheval ; l’obus crève, et l’empereur sort sain et sauf du milieu de la foudre brisée.

La bataille devait recommencer le lendemain ; mais Bonaparte, cédant à l’inspiration du génie, inspiration qui lui fut néanmoins funeste, se retire afin de se porter sur le derrière des troupes confédérées, les séparer de leurs magasins et grossir son armée des garnisons des places frontières. Les étrangers se préparaient à se replier sur le Rhin, lorsque Alexandre, par un de ces mouvements du ciel qui changent tout un monde, prit le parti de marcher à Paris dont le chemin devenait libre[2]. Napoléon croyait entraîner la masse des ennemis, et il n’était suivi que

  1. La bataille d’Arcis-sur-Aube dura deux jours (20 et 21 mars). Ce fut la dernière bataille que Napoléon livra en personne dans cette campagne. Il dut abandonner le terrain à l’ennemi ; mais ces deux journées n’en furent pas moins des plus glorieuses pour nos soldats et pour leur chef. Les 20 000 hommes de Napoléon avaient résisté à une masse qui s’était successivement élevée de 40 000 à 90 000.
  2. J’ai entendu le général Pozzo raconter que c’était lui qui avait déterminé l’empereur Alexandre à marcher en avant. Ch. — Ce fut le 24 mars, à Sommepuis, que la résolution de marcher sur Paris fut prise, dans une conférence à laquelle assistaient l’empereur Alexandre, le chef d’état-major Wolkonski, le comte de Nesselrode, le prince de Schwarzenberg, le roi de Prusse et Blücher. M. Thiers (tome XVII, p. 546) dit, comme Chateaubriand, que la détermination d’Alexandre fut due surtout aux conseils et aux instances du comte Pozzo di Borgo, « lequel, ayant acquis sur les Alliés une influence proportionnée à son esprit, ne se lassait pas de leur répéter qu’il fallait marcher sur Paris ».