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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

terlitz : « Non, dit-il, il suffit que j’aie passé sur ce pont avec mon armée. »

Alexandre avait quelque chose de calme et de triste : il se promenait dans Paris, à cheval ou à pied, sans suite et sans affectation. Il avait l’air étonné de son triomphe ; ses regards presque attendris erraient sur une population qu’il semblait considérer comme supérieure à lui : on eût dit qu’il se trouvait un Barbare au milieu de nous, comme un Romain se sentait honteux dans Athènes. Peut-être aussi pensait-il que ces mêmes Français avaient paru dans sa capitale incendiée ; qu’à leur tour ses soldats étaient maîtres de ce Paris où il aurait pu retrouver quelques-unes des torches éteintes par qui fut Moscou affranchie et consumée. Cette destinée, cette fortune changeante, cette misère commune des peuples et des rois, devaient profondément frapper un esprit aussi religieux que le sien.


Que faisait le vainqueur de Borodino ? Aussitôt qu’il avait appris la résolution d’Alexandre, il avait envoyé l’ordre au major d’artillerie Maillard de Lescourt de faire sauter la poudrière de Grenelle : Rostopschin avait mis le feu à Moscou ; mais il en avait fait auparavant sortir les habitants. De Fontainebleau où il était revenu, Napoléon s’avança jusqu’à Villejuif : de là il jeta un regard sur Paris ; des soldats étrangers en gardaient les barrières ; le conquérant se rappelait les jours où ses grenadiers veillaient sur les remparts de Berlin, de Moscou et de Vienne.

Les événements détruisent les événements  : quelle pauvreté ne nous parait pas aujourd’hui la douleur de