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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tutoyer Bonaparte, et lui fit à son tour d’amers reproches sur son insatiable ambition, à laquelle il avait tout sacrifié, même le bonheur de la France entière. Ce discours fatiguant l’empereur, il se tourna avec brusquerie du côté du maréchal, l’embrassa, lui ôta encore son chapeau, et se jeta dans sa voiture.

« Augereau, les mains derrière le dos, ne dérangea pas sa casquette de dessus sa tête ; et seulement, lorsque l’empereur fut remonté dans sa voiture, il lui fit un geste méprisant de la main en lui disant adieu…

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« Le 25 nous arrivâmes à Orange : nous fûmes reçus aux cris de Vive le roi ! vive Louis XVIII !

« Le même jour, le matin, l’empereur trouva un peu en avant d’Avignon, à l’endroit où l’on devait changer de chevaux, beaucoup de peuple rassemblé, qui l’attendait à son passage, et qui nous accueillit aux cris de : Vive le roi ! vivent les alliés ! À bas le tyran, le coquin, le mauvais gueux !… Cette multitude vomit encore contre lui mille invectives.

« Nous fîmes tout ce que nous pûmes pour arrêter ce scandale, et diviser la foule qui assaillait sa voiture ; nous ne pûmes obtenir de ces forcenés qu’ils cessassent d’insulter l’homme qui, disaient-ils, les avait rendus si malheureux, et qui n’avait d’autre désir que d’augmenter encore leur misère…

« Dans tous les endroits que nous traversâmes, il fut reçu de la même manière. À Orgon[1], petit village

  1. Chef-lieu de canton du département des Bouches-du-Rhône, sur la rive gauche de la Durance.