Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dit qu’en conservant la péroraison, sauf quelques mots, et en changeant presque tout le reste, je serais reçu avec de grands applaudissements. On avait copié le discours au château, en supprimant quelques passages et en interpolant quelques autres. Peu de temps après, il parut dans les provinces imprimé de la sorte.

Ce discours est un des meilleurs titres de l’indépendance de mes opinions et de la constance de mes principes. M. Suard, libre et ferme, disait que s’il avait été lu en pleine Académie, il aurait fait crouler les voûtes de la salle sous un tonnerre d’applaudissements. Se figure-t-on, en effet, le chaleureux éloge de la liberté prononcé au milieu de la servilité de l’Empire ?

J’avais conservé le manuscrit raturé avec un soin religieux ; le malheur a voulu qu’en quittant l’infirmerie de Marie-Thérèse il fût brûlé avec une foule de papiers. Néanmoins, les lecteurs de ces Mémoires n’en seront pas privés : un de mes collègues eut la générosité d’en prendre copie ; la voici :


« Lorsque Milton publia le Paradis perdu, aucune voix ne s’éleva dans les trois royaumes de la Grande-Bretagne pour louer un ouvrage qui, malgré ses nombreux défauts, n’en est pas moins un des plus beaux monuments de l’esprit humain. L’Homère anglais mourut oublié, et ses contemporains laissèrent à l’avenir le soin d’immortaliser le chantre d’Éden. Est-ce là une de ces grandes injustices littéraires dont presque tous les siècles offrent des exemples ? Non, messieurs ; à peine échappés aux guerres civiles, les Anglais ne purent se résoudre