Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/464

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
452
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

torités choisis et maintenus par Bonaparte. Où se tripotait la Restauration ? chez des royalistes ? Non : chez M. de Talleyrand. Avec qui ? avec M. de Pradt, aumônier du dieu Mars et saltimbanque mitré. Avec qui et chez qui dînait en arrivant le lieutenant général du royaume ? chez des royalistes et avec des royalistes ? Non : chez l’évêque d’Autun, avec M. de Caulaincourt. Où donnait-on des fêtes aux infâmes princes étrangers ? aux châteaux des royalistes ? Non : à la Malmaison, chez l’impératrice Joséphine. Les plus chers amis de Napoléon, Berthier, par exemple, à qui portaient-ils leur ardent dévouement ? à la légitimité. Qui passait sa vie chez l’autocrate Alexandre, chez ce brutal Tartare ? les classes de l’Institut, les savants, les gens de lettres, les philosophes philanthropes, théophilanthropes et autres ; ils en revenaient charmés, comblés d’éloges et de tabatières. Quant à nous, pauvres diables de légitimistes, nous n’étions admis nulle part ; ou nous comptait pour rien. Tantôt on nous faisait dire dans la rue d’aller nous coucher ; tantôt on nous recommandait de ne pas crier trop haut Vive le roi ! d’autres s’étant chargés de ce soin. Loin de forcer aucun à être légitimiste, les puissants déclaraient que personne ne serait obligé de changer de rôle et de langage, que l’évêque d’Autun ne serait pas plus contraint de dire la messe sous la royauté qu’il n’avait été contraint d’y aller sous l’Empire. Je n’ai point vu de châtelaine, point de Jeanne d’Arc, proclamer le souverain de droit, un faucon sur le poing ou la lance à la main ; mais madame de Talleyrand[1], que Bonaparte avait

  1. Elle était née à Pondichéry, où son père, nommé Worley,