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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tige. Membre de l’Académie française, il n’y avait presque rien au-dessus de ce titre. Membre de la IIe Classe, cela ne disait rien au public. Chateaubriand était donc médiocrement soucieux d’un honneur qui n’ajouterait rien à son illustration. Et dans tous les cas il ne pouvait lui convenir de remplacer Chénier, puisqu’aussi bien il lui faudrait alors faire l’éloge d’un homme qui n’avait pas seulement poursuivi de ses railleries Atala et le Génie du christianisme, — ce qui, après tout, se pouvait pardonner, — mais qui avait voté la mort de Louis XVI, qui avait bafoué le pape et traîné le catholicisme dans la boue. Ses amis pensèrent autrement. Ils estimèrent que l’Institut serait pour lui un abri protecteur, et comme un lieu d’asile où il serait moins exposé aux tracasseries de la police. Et pendant que ses amis le pressaient ainsi de poser sa candidature, il se trouva que, dans les plus hautes régions du pouvoir, et au ministère même de la police, on travaillait à lui ouvrir les portes de l’Académie. Bourrienne[1], dont le témoignage est appuyé par celui du duc de Rovigo[2], raconte que tous deux s’intéressaient à sa nomination ; Rovigo se chargeait de vaincre les difficultés qui pourraient venir de l’empereur. Mais, loin de rencontrer de ce côté aucune opposition, la candidature de Chateaubriand était, au contraire, accueillie très favorablement par le souverain. D’après le baron de Méneval, secrétaire de Napoléon, ce serait l’Empereur lui-même qui aurait désigné l’auteur du Génie du Christianisme aux suffrages de l’Académie. Le témoignage de Méneval est ici confirmé par celui de Las Cases, dans le Mémorial de Sainte-Hélène[3], où il est raconté qu’un jour, aux Tuileries, Napoléon, après une lecture de quelques pages du grand écrivain, aurait dit tout d’un coup : « Comment se fait-il que Chateaubriand ne soit pas de l’Institut ? »

  1. Mémoires de M. de Bourrienne. t. IX, p. 51.
  2. Mémoires du duc de Rovigo. t. V. p. 47.
  3. Tome II, p. 632. — Édition Bourdin, 1842.