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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t4.djvu/24

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Et puis l’empereur pouvait-il se fier à ses anciens partisans et ses prétendus amis ? ne l’avaient-ils pas indignement abandonné au moment de sa chute ? Ce Sénat qui rampait à ses pieds, maintenant blotti dans la pairie, n’avait-il pas décrété la déchéance de son bienfaiteur ? Pouvait-il les croire, ces hommes, lorsqu’ils venaient lui dire : « L’intérêt de la France est inséparable du vôtre. Si la fortune trompait vos efforts, des revers, sire, n’affaibliraient pas notre persévérance et redoubleraient notre attachement pour vous[1]. » Votre persévérance ! votre attachement redoublé par l’infortune ! Vous disiez ceci le 11 juin 1815 : qu’aviez-vous dit le 2 avril 1814 ? que direz-vous quelques semaines après, le 19 juillet 1815 ?

Le ministre de la police impériale, ainsi que vous l’avez-vu, correspondait avec Gand, Vienne et Bâle ; les maréchaux auxquels Bonaparte était contraint de donner le commandement de ses soldats avaient naguère prêté serment à Louis XVIII ; ils avaient fait contre lui, Bonaparte, les proclamations les plus violentes[2] ; depuis ce moment, il est vrai, ils avaient réépousé leur sultan ; mais s’il eût été arrêté à Grenoble, qu’en auraient-ils fait ? Suffit-il de rompre un serment pour rendre à un autre serment violé toute sa force ? Deux parjures équivalent-ils à la fidélité ?

Encore quelques jours, et ces jureurs du Champ de Mai rapporteront leur dévouement à Louis XVIII dans les salons des Tuileries ; ils s’approcheront de la

    répondit pas au roi détrôné et lui fit interdire par Fouché l’accès de Paris.

  1. Adresse de la Chambre des Pairs du dimanche 11 juin. — Moniteur du 12 juin.
  2. Voyez plus haut celle du maréchal Soult. Ch.