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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

trouve la peinture de la vieille Angleterre, et comme je retraçais tout cela lors de mon ambassade (1822), les changements survenus dans les mœurs et dans les personnages de 1793 à la fin du siècle me frappaient ; j’étais naturellement amené à comparer ce que je voyais en 1822 à ce que j’avais vu pendant les sept années de mon exil d’outre-Manche.

Ainsi ont été relatées par anticipation des choses que j’aurais à placer maintenant sous la propre date de ma mission diplomatique. Je vous ai parlé de mon émotion, des sentiments que me rappela la vue de ces lieux chers à ma mémoire ; mais peut-être n’avez-vous pas lu cette partie de mon livre ? Vous avez bien fait. Il me suffit maintenant de vous avertir de l’endroit où sont comblées les lacunes qui vont exister dans le récit actuel de mon ambassade de Londres. Me voici donc, en écrivant en 1839, parmi les morts de 1822 et les morts qui précédèrent en 1793.

À Londres, au mois d’avril 1822, j’étais à cinquante lieues de madame Sutton. Je me promenais dans le parc de Kensington avec mes impressions récentes et l’ancien passé de mes jeunes années[1] : confusion de

  1. À peine arrivé à Londres, il écrivait à la duchesse de Duras : « J’ai été saisi de tristesse depuis que je suis ici. J’ai revu les rues que j’ai habitées, Kensington dont les arbres sont devenus énormes. L’épreuve est rude. Que de temps écoulé ! Ma maudite mémoire est telle que j’ai reconnu jusqu’à des marques que j’avais vues sur des bornes. Tout cela était pour moi comme d’hier. J’ai parcouru en voiture, au milieu de la foule, les allées de Hyde-Park, où j’errais à pied en composant Atala et René. Étais-je plus heureux ? mais au moins j’avais le temps d’attendre. Je reçois votre longue lettre. J’en avais grand besoin. Je ne puis soulever le poids que Londres a mis sur moi. Il me semble que je suis au fond d’un désert et que je ne dois plus revoir mes amis. Berlin était une merveille. »