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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans l’opposition comme moi, dans la disgrâce comme moi, et ils se disaient mes amis. Arrivés au pouvoir en 1820, encore plus par mes travaux que par les leurs, ils se tournèrent contre la liberté de la presse : de persécutés ils devinrent persécuteurs ; ils cessèrent d’être et de se dire mes amis ; ils soutinrent que la licence de la presse n’avait commencé que le 6 de juin 1824, jour de mon renvoi du ministère ; leur mémoire était courte : s’ils avaient relu les opinions qu’ils prononcèrent, les articles qu’ils écrivirent contre un autre ministère et pour la liberté de la presse, ils auraient été obligés de convenir qu’ils étaient au moins en 1818 ou 1819 les sous-chefs de la licence.

D’un autre côté, mes anciens adversaires se rapprochèrent de moi. J’essayai de rattacher les partisans de l’indépendance à la royauté légitime, avec plus de fruit que je ne ralliai à la Charte les serviteurs du trône et de l’autel. Mon public avait changé. J’étais obligé d’avertir le gouvernement des dangers de l’absolutisme, après l’avoir prémuni contre l’entraînement populaire. Accoutumé à respecter mes lecteurs, je ne leur livrais pas une ligne que je ne l’eusse écrite avec tout le soin dont j’étais capable : tel de ces opuscules d’un jour m’a coûté plus de peine, proportion gardée, que les plus longs ouvrages sortis de ma plume. Ma vie était incroyablement remplie. L’honneur et mon pays me rappelèrent sur le champ de bataille. J’étais arrivé à l’âge où les hommes ont besoin de repos ; mais si j’avais jugé de mes années par la haine toujours croissante que m’inspiraient l’oppression et la bassesse, j’aurais pu me croire rajeuni.