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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Je ne suis pas de ces hommes pour qui leur intérêt est tout : que gagnerai-je au retour de Louis XVIII ? d’être fusillé pour crime de désertion ; mais je dois la vérité à mon pays. »

Dans la séance des pairs du 23, le général Drouot[1], rappelant cette scène, dit : « J’ai vu avec chagrin ce qui fut dit hier pour diminuer la gloire de nos armes, exagérer nos désastres et diminuer nos ressources. Mon étonnement a été d’autant plus grand que ces discours étaient prononcés par un général

  1. Antoine, comte Drouot (1774-1847), général de division d’artillerie, et, au jugement de Napoléon, le premier officier de son arme. Il avait suivi l’Empereur à l’île d’Elbe, s’était opposé autant qu’il avait pu au projet de retour en France ; mais, lorsque ce projet avait été décidé, il avait pris le commandement de l’avant-garde. Le 2 juin 1815, il fut nommé pair des Cent-Jours. Il était à Waterloo. Après la défaite, il accourut à la Chambre des pairs, exposa éloquemment la situation, et proposa de continuer la lutte. Investi par le gouvernement provisoire du commandement de la garde impériale, il eut assez d’influence sur elle pour la déterminer à se retirer derrière la Loire et à se laisser désarmer. L’ordonnance du 24 juillet 1815 l’ayant excepté de l’amnistie, il se constitua lui-même prisonnier, comparut devant un conseil de guerre le 6 avril 1816, et fut acquitté. Il vécut, dès lors, dans sa ville natale, à Nancy, exclusivement occupé de questions agricoles, refusant les offres d’emploi, de pensions et d’honneurs qui lui furent faites par Louis XVIII et par le gouvernement de Juillet. Il consentit seulement, le 19 novembre 1831, à être fait pair. — Napoléon l’appelait le Sage. « Drouot, disait-il, est un homme qui vivrait aussi satisfait avec quarante sous par jour qu’avec la dotation d’un souverain. » Par son testament de Sainte-Hélène, il lui légua 100 000 francs, qui furent employés en œuvres de bienfaisance. D’une piété sincère, Drouot n’avait cessé de pratiquer, même au milieu des camps, les devoirs de la religion. C’est peut-être la figure la plus héroïque et la plus pure de l’époque impériale. L’Éloge funèbre du général Drouot a été prononcé par le Père Lacordaire.