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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

distingué (Ney), qui, par sa grande valeur et ses connaissances militaires, a tant de fois mérité la reconnaissance de la nation. »

Dans la séance du 22, un second orage avait éclaté à la suite du premier : il s’agissait de l’abdication de Bonaparte ; Lucien insistait pour qu’on reconnût son neveu empereur. M. de Pontécoulant interrompit l’orateur, et demanda de quel droit Lucien, étranger et prince romain, se permettait de donner un souverain à la France. « Comment, ajouta-t-il, reconnaître un enfant qui réside en pays étranger ? » À cette question, La Bédoyère[1], s’agitant devant son siège :

« J’ai entendu des voix autour du trône du souverain heureux ; elles s’en éloignent aujourd’hui qu’il est dans le malheur. Il y a des gens qui ne veulent pas reconnaître Napoléon II, parce qu’ils veulent recevoir la loi de l’étranger, à qui ils donnent le nom d’alliés.

« L’abdication de Napoléon est indivisible. Si l’on

  1. Charles-Angélique-François Huchet, comte de La Bédoyère (1786-1815). Il avait été fait colonel en 1812, à vingt-six ans. Après l’abdication de Fontainebleau, sa famille avait obtenu pour lui la croix de Saint-Louis et le commandement du 7e de ligne, en garnison à Grenoble. Le 7 mars 1815, Napoléon n’avait encore vu son escorte se grossir que de faibles détachements, lorsqu’un régiment entier se joignit à lui à Vizille : c’était le régiment de La Bédoyère. À partir de ce moment, la partie était gagnée : la trahison du jeune colonel venait d’en assurer le succès. L’Empereur le nomma général de brigade, son aide de camp, et, bientôt, général de division ; le 2 juin, il l’appelait à la Chambre des pairs. Après la chute de l’Empire, impliqué dans un complot récemment découvert, La Bédoyère fut pris et arrêté (2 août 1815), traduit devant un conseil de guerre comme prévenu de « trahison, de rébellion et d’embauchage », condamné à la peine de mort à l’unanimité, et fusillé dans la plaine de Grenelle (19 août 1815).