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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Quoique la marine, dit-il, ne fût certes point un poste secondaire, néanmoins j’envisageai qu’il ne pouvait convenir à M. de Chateaubriand qu’en y ajoutant la présidence du Conseil. Par suite, je ne voulus pas me mêler aux différentes démarches tentées près de lui, persuadé qu’une secrète irritation que j’avais cru remarquer ne disparaîtrait qu’en face d’une proposition catégorique qui lui prouverait que son admission avait été pleinement consentie par le roi. Mais un mot ambigu, comme tout ce qu’écrivait Laborie avec son écriture illisible, me donna l’espoir que mon idée avait cours parmi les projets mis en avant. Je crus à un succès presque certain, et je me rendis chez Chateaubriand pour vaincre, s’il le fallait, une dernière résistance.

La soirée était avancée, et je le trouvai retiré dans son appartement. On m’annonça ; il vint à moi avec cet œil brillant et ce front dégagé des nuages qui le couvraient depuis quelque temps.

— Eh bien, me dit-il, la marine, est-ce fait ?

— Je vous le demande, répondis-je, ce serait le plus cher de mes vœux.

Cette réponse, qui mit entre nous un moment de silence, fut rompue par de bonnes et chaleureuses paroles de mon interlocuteur.

Quel ne fut pas mon étonnement lorsqu’il me dit qu’il avait refusé positivement le poste qui lui avait été offert et m’avait désigné pour le remplir ! « Chose acceptée et qui vous sera communiquée demain », ajouta-t-il.

« Réfléchissez, je vous en conjure, lui dis-je, que mon entrée au ministère ne le consolidera en aucune façon. Nous perdons en ce moment la seule chance possible de sauver le ministère et peut-être la couronne. Vous savez bien d’ailleurs que ce ne sont pas ceux qui montent à l’assaut qui plantent le drapeau au jour de la victoire. Laissons un nom comme le vôtre lui donner le baptême de la popularité. »

Rien ne put persuader mon illustre ami, et je rentrai chez moi fort troublé, n’ayant jamais songé à être appelé à ce périlleux devoir, dont les dangers dépassent les honneurs, quand on les envisage au point de vue de la responsabilité.[1]

Hyde de Neuville dut céder, et, le 5 mars, il prêtait serment entre les mains du roi,[2] avec Monseigneur Feutrier, nommé ministre des Cultes.

  1. Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville. t. III, p. 377.
  2. « Quoique irrité contre M. Hyde de Neuville, que son amitié pour