Vers onze heures je me couche, ou bien je retourne encore dans la campagne, malgré les voleurs et la malaria : qu’y fais-je ? Rien : j’écoute le silence, et je regarde passer mon ombre de portique en portique, le long des aqueducs éclairés par la lune.
« Les Romains sont si accoutumés à ma vie méthodique, que je leur sers à compter les heures. Qu’ils se dépêchent ; j’aurai bientôt achevé le tour du cadran. »
« Je suis bien malheureux ; du plus beau temps du monde nous sommes passés à la pluie, de sorte que je ne puis plus faire mes promenades. C’était pourtant là le seul bon moment de ma journée. J’allais pensant à vous dans ces campagnes désertes ; elles liaient dans mes sentiments l’avenir et le passé, car autrefois je faisais aussi les mêmes promenades. Je vais une ou deux fois la semaine à l’endroit où l’Anglaise s’est noyée : qui se souvient aujourd’hui de cette pauvre jeune femme, miss Bathurst[1] ? ses compatriotes galopent le long du fleuve sans penser à elle. Le Tibre, qui a vu bien d’autres choses ne s’en embarrasse pas du tout. D’ailleurs, ses flots se sont renouvelés : ils sont aussi pâles et aussi tranquilles que quand ils ont
- ↑ Le triste événement auquel Chateaubriand fait ici allusion s’était passé au mois de mars 1824. Miss Bathurst, dans une promenade à cheval au bois du Tibre, avec une société brillante et nombreuse, avait été précipitée dans le fleuve par un faux pas de son cheval et y avait péri. Elle avait dix-sept ans et était remarquablement jolie.