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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

maintenant mon sacrifice est fait et je me trouve bien. »

Christian a hérité du caractère de fer de son aïeul paternel, M. de Chateaubriand mon père, et des vertus morales de son bisaïeul maternel, M. de Malesherbes. Ses sentiments sont renfermés, bien qu’il les montre, sans égard aux préjugés de la foule, quand il s’agit de ses devoirs : dragon dans la garde, en descendant de cheval il allait à la sainte Table ; on ne s’en moquait point, car sa bravoure et sa bienfaisance étaient l’admiration de ses camarades. On a découvert, depuis qu’il a renoncé au service, qu’il secourait secrètement un nombre considérable d’officiers et de soldats ; il a encore des pensionnaires dans les greniers de Paris, et Louis acquitte les dettes fraternelles. Un jour, en France, je m’enquérais de Christian s’il se marierait : « Si je me mariais, répondit-il, j’épouserais une de mes petites parentes, la plus pauvre. »

Christian passe les nuits à prier ; il se livre à des austérités dont ses supérieurs sont effrayés : une plaie qui s’était formée à l’une de ses jambes lui était venue de sa persévérance à se tenir à genoux des heures entières ; jamais l’innocence ne s’est livrée à tant de repentir.

Christian n’est point un homme de ce siècle : il me rappelle ces ducs et ces comtes de la cour de Charlemagne, qui, après avoir combattu contre les Sarrasins, fondaient des couvents sur les sites déserts de Gellone ou de Madavalle, et s’y faisaient moines. Je le regarde comme un saint : je l’invoquerais volontiers. Je suis persuadé que ses bonnes œuvres, unies à celles de ma mère et de ma sœur Julie, m’obtien-