Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Courvoisier[1] et Montbel[2]. Le 17 juin 1815, étant à Gand et descendant de chez le roi, je rencontrai au bas de l’escalier un homme en redingote et en bottes crottées, qui montait chez Sa Majesté. À sa physionomie spirituelle, à son nez fin, à ses beaux yeux doux de couleuvre, je reconnus le général Bourmont ; il avait déserté l’armée de Bonaparte le 15. Le comte de Bourmont est un officier de mérite, habile à se tirer des pas difficiles ; mais un de ces hommes qui, mis en première ligne, voient les obstacles et ne les peuvent vaincre, faits qu’ils sont pour être conduits, non pour conduire : heureux dans ses fils, Alger lui laissera un nom.

    tiale histoire doit sévèrement condamner. Puisqu’il avait repris du service dans l’armée impériale, il ne la devait point quitter à la veille des hostilités. Cette faute, si grave soit-elle, il l’a noblement rachetée, et par sa glorieuse expédition d’Alger, et par le désintéressement dont il a fait preuve au lendemain de sa victoire. Au mois d’août 1830, son successeur au Ministère de la Guerre, le général Gérard, lui écrivit que « d’heureuses circonstances l’ayant séparé de ses collègues, il n’avait pas à redouter leur sort ; que la France lui savait gré de ses succès, et que le Gouvernement saurait le récompenser de ses services. » Si touché qu’il pût être de ce témoignage rendu par son ancien chef du 4e corps, le maréchal de Bourmont renonça sans hésiter à sa fortune politique et à sa fortune militaire ; il sacrifia sans compter ses titres, ses honneurs, ses traitements, la dignité de pair de France et jusqu’à son bâton de maréchal.

  1. Jean-Joseph-Antoine de Courvoisier (1775-1835). Il avait émigré et servi à l’armée de Condé. Député de 1816 à 1824, il se fit remarquer par la modération de ses idées, ainsi que par son talent. Cormenin a dit de lui (Livre des Orateurs, II, 6) : « Courvoisier, le plus dispos et le plus intarissable des parleurs, si Thiers n’eût pas existé. » Il était depuis 1818 procureur général près la cour de Lyon.
  2. Guillaume-Isidore Baron, comte de Montbel (1787-1861). Ami particulier de M. de Villèle, qu’il avait remplacé comme