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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des maisons environnantes. Il fut obligé de renoncer à rejoindre l’Hôtel de Ville par la rue Saint-Antoine, et, après avoir traversé le pont d’Austerlitz, il regagna le Carrousel le long des boulevards du sud. Turenne devant la Bastille non encore démolie avait été plus heureux pour la mère de Louis XIV enfant.

La colonne chargée d’occuper l’Hôtel de Ville[1] suivit les quais des Tuileries, du Louvre et de l’École, passa la moitié du Pont-Neuf, prit le quai de l’Horloge, le Marché-aux-Fleurs, et se porta à la place de Grève par le pont Notre-Dame. Deux pelotons de la garde firent une diversion en filant jusqu’au nouveau pont suspendu. Un bataillon du 15e léger appuyait la garde, et devait laisser deux pelotons sur le Marché-aux-Fleurs.

On se battit au passage de la Seine sur le pont Notre-Dame. Le peuple, tambour en tête, aborda bravement la garde. L’officier qui commandait l’artillerie royale fit observer à la masse populaire qu’elle s’exposait inutilement, et que, n’ayant pas de canons, elle

    taient même en murmures, et maugréaient tout comme si, après la réception qu’ils m’avaient faite, je leur devais une gratification. Je le répète, si j’avais eu un fourgon de pièces de cinq francs à leur distribuer, je me serais fait de tout ce peuple du faubourg Saint-Antoine et des environs une nombreuse avant-garde avec laquelle j’aurais pu parcourir pacifiquement tout Paris, et ces mêmes gens qui, le matin, avaient aidé à construire les barricades aux cris de : Vive la Charte ! le soir les auraient démolies avec joie, aux cris de : Vive le Roi ! sans que j’eusse eu besoin de tirer un coup de fusil, et je les aurais amenés ensuite sur la place du Carrousel saluer de leurs acclamations royalistes le palais de nos rois. » (Mémoires, p. 496.)

  1. Cette colonne, placée sous les ordres du général Talon, était composée d’un bataillon du 3e régiment de la garde, renforcé de 150 lanciers, d’un bataillon suisse et de deux pièces de canon.