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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

grand nombre à la mairie du 1er  arrondissement pour maintenir l’ordre. Dans ces combats, la garde souffrait plus que le peuple, parce qu’elle était exposée au feu des ennemis invisibles qui étaient dans les maisons. D’autres nommeront les vaillants des salons qui, reconnaissant des officiers de la garde, s’amusaient à les abattre, en sûreté qu’ils étaient derrière un volet ou une cheminée. Dans la rue, l’animosité de l’homme de peine ou du soldat n’allait pas au delà du coup porté : blessé, on se secourait mutuellement. Le peuple sauva plusieurs victimes. Deux officiers, M. de Goyon et M. Rivaux, après une défense héroïque, durent la vie à la générosité des vainqueurs. Un capitaine de la garde, Kaumann, reçoit un coup de barre de fer sur la tête : étourdi et les yeux sanglants, il relève avec son épée les baïonnettes de ses soldats qui mettaient en joue l’ouvrier.

La garde était remplie des grenadiers de Bonaparte. Plusieurs officiers perdirent la vie, entre autres le lieutenant Noirot, d’une bravoure extraordinaire, qui avait reçu du prince Eugène la croix de la Légion d’honneur, en 1813, pour un fait d’armes accompli dans une des redoutes de Caldiera. Le colonel de Pleineselve, blessé mortellement à la porte Saint-Martin, avait été aux guerres de l’Empire, en Hollande, en Espagne, à la grande armée et dans la garde impériale. À la bataille de Leipzig, il fit prisonnier de sa propre main le général autrichien Merfeld. Porté par ses soldats à l’hôpital du Gros-Caillou, il ne voulut être pansé que le dernier des blessés de juillet. Le docteur Larrey[1], qui l’avait rencontré sur d’autres champs de bataille, lui amputa la cuisse ; il était trop

  1. Félix-Hippolyte Larrey, fils de l’illustre Larrey, chirurgien de l’empereur. Né le 18 septembre 1808, il était en 1830 chirurgien sous-aide à l’hôpital de la garde royale au Gros-Caillou. Chirurgien de Napoléon III en 1853, médecin en chef de l’armée d’Italie en 1859, médecin en chef de l’armée du Rhin en 1870, le baron Félix Larrey a publié un grand nombre de travaux sur la médecine ; membre de l’Académie de médecine depuis 1850, il fut nommé membre de l’Académie des Sciences en 1867. De 1877 à 1881, il fit partie de la Chambre des députés et siégea dans le groupe de l’Appel au peuple. Il a publié en 1830 une Relation chirurgicale des événements de Juillet à l’hôpital militaire du Gros-Caillou. — Chateaubriand a confondu ici le fils avec le père, le chirurgien sous-aide du Gros-Caillou avec le chirurgien de la Grande Armée.