spectateurs dans la rue et aux fenêtres : « À bas les chapeaux ! vive la charte ! » et moi je répliquais : « Oui, messieurs, vive la charte ! mais vive le roi ! » On ne répétait pas ce cri, mais il ne provoquait aucune colère. Et voilà comme la partie était perdue ! Tout pouvait encore s’arranger, mais il ne fallait présenter au peuple que des hommes populaires : dans les révolutions, un nom fait plus qu’une armée.
Je suppliai tant mes jeunes amis qu’ils me mirent enfin à terre. Dans la rue de Seine, en face de mon libraire, M. Le Normant, un tapissier offrit un fauteuil pour me porter ; je le refusai et j’arrivai au milieu de mon triomphe dans la cour d’honneur du Luxembourg. Ma généreuse escorte me quitta alors après avoir poussé de nouveaux cris de Vive la charte ! vive Chateaubriand ! J’étais touché des sentiments de cette noble jeunesse : j’avais crié vive le roi ! au milieu d’elle, tout aussi en sûreté que si j’eusse été seul enfermé dans ma maison ; elle connaissait mes opinions ; elle m’amenait elle-même à la Chambre des pairs où elle savait que j’allais parler et rester fidèle à mon roi ; et pourtant c’était le 30 juillet, et nous venions de passer près de la fosse dans laquelle on ensevelissait les citoyens tués par les balles des soldats de Charles X !
Le bruit que je laissais en dehors contrastait avec le silence qui régnait dans le vestibule du palais du Luxembourg. Ce silence augmenta dans la galerie sombre qui précède les salons de M. de Sémonville. Ma présence gêna les vingt-cinq ou trente pairs qui s’y trouvaient rassemblés : j’empêchais les douces effusions de la peur, la tendre consternation à laquelle