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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans sa fausseté, attendit l’événement comme l’araignée attend le moucheron qui se prendra dans sa toile. Il a laissé le moment conspirer ; il n’a conspiré lui-même que par ses désirs, dont il est probable qu’il avait peur.

Il y avait deux partis à prendre pour M. le duc d’Orléans : le premier, et le plus honorable, était de courir à Saint-Cloud, de s’interposer entre Charles X et le peuple, afin de sauver la couronne de l’un et la liberté de l’autre ; le second consistait à se jeter dans les barricades, le drapeau tricolore au poing, et à se mettre à la tête du mouvement du monde. Philippe avait à choisir entre l’honnête homme et le grand homme : il a préféré escamoter la couronne du roi et la liberté du peuple. Un filou, pendant le trouble et les malheurs d’un incendie, dérobe subtilement les objets les plus précieux du palais brûlant, sans écouter les cris d’un enfant que la flamme a surpris dans son berceau.

La riche proie une fois saisie, il s’est trouvé force chiens à la curée : alors sont arrivées toutes ces vieilles corruptions des régimes précédents, ces recéleurs d’effets volés, crapauds immondes à demi écrasés sur lesquels on a cent fois marché, et qui vivent, tout aplatis qu’ils sont. Ce sont là pourtant les hommes que l’on vante et dont on exalte l’habileté ! Milton pensait autrement lorsqu’il écrivait ce passage d’une lettre sublime : « Si Dieu versa jamais un amour ferme de la beauté morale dans le sein d’un homme, il l’a versé dans le mien. Quelque part que je rencontre un homme méprisant la fausse estime du vulgaire, osant aspirer, par ses sentiments, son