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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

après la victoire. M.Thiers ayant préconisé le système de 1793 comme l’œuvre de la liberté, de la victoire et du génie, de jeunes imaginations se sont allumées au feu d’un incendie dont elles ne voyaient que la réverbération lointaine ; elles en sont à la poésie de la terreur : affreuse et folle parodie qui fait rebrousser l’heure de la liberté. C’est méconnaître à la fois le temps, l’histoire et l’humanité ; c’est obliger le monde à reculer jusque sous le fouet du garde-chiourme pour se sauver de ces fanatiques de l’échafaud.

Il fallait de l’argent pour nourrir tous ces mécontents, héros de Juillet éconduits, ou domestiques sans place : on se cotisa. Des conciliabules carlistes et républicains avaient lieu dans tous les coins de Paris, et la police, au fait de tout, envoyait ses espions prêcher, d’un club à un grenier, l’égalité et la légitimité. On m’informait de ces menées que je combattais. Les deux partis voulaient me déclarer leur chef au moment certain du triomphe : un club républicain me fit demander si j’accepterais la présidence de la République ; je répondis : « Oui, très certainement ; mais après M. de la Fayette ; » ce qui fut trouvé modeste et convenable. Le général La Fayette venait quelquefois chez madame Récamier ; je me moquais un peu de sa meilleure des républiques ; je lui demandais s’il n’aurait pas mieux fait de proclamer Henri V et d’être le véritable président de la France pendant la minorité du royal enfant. Il en convenait et prenait bien la plaisanterie, car il était homme de bonne compagnie. Toutes les fois que nous nous retrouvions, il médisait : « Ah ! vous allez recommencer votre querelle. » Je lui faisais convenir qu’il n’y