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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avait pas eu d’homme plus attrapé que lui par son bon ami Philippe.

Au milieu de cette agitation et de ces conspirations extravagantes, arrive un homme déguisé. Il débarqua chez moi, perruque de chiendent sur l’occiput, lunettes vertes sur le nez, masquant ses yeux qui voyaient très bien sans lunettes. Il avait ses poches pleines de lettres de change qu’il montrait ; et tout de suite instruit que je voulais vendre ma maison et arranger mes affaires, il me fit offre de ses services ; je ne pouvais m’empêcher de rire de ce monsieur (homme d’esprit et de ressource d’ailleurs) qui se croyait obligé de m’acheter pour la légitimité. Ses offres devenant trop pressantes, il vit sur mes lèvres un dédain qui l’obligea de faire retraite, et il écrivit à mon secrétaire ce petit billet que j’ai gardé :

« Monsieur,

« Hier au soir j’ai eu l’honneur de voir M. le vicomte de Chateaubriand, qui m’a reçu avec sa bonté habituelle ; néanmoins j’ai cru m’apercevoir qu’il n’avait plus son abandon ordinaire. Dites-moi, je vous prie, ce qui aurait pu me retirer sa confiance, à laquelle je tenais plus qu’à toute autre chose ; si on lui a fait des cancans, je ne crains pas de mettre ma conduite au grand jour, et je suis prêt à répondre à tout ce qu’on pourrait lui avoir dit ; il connaît trop la méchanceté des intrigants pour me condamner sans vouloir m’entendre. Il y a même des peureux qui en font aussi ; mais il faut espérer que le jour arrivera où l’on verra les gens qui sont