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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je dois me mettre en route demain, Madame de Chateaubriand me rejoindra à Lucerne.

Bâle, 12 août 1832.

Beaucoup d’hommes meurent sans avoir perdu leur clocher de vue : je ne puis rencontrer le clocher qui me doit voir mourir. En quête d’un asile pour achever mes Mémoires, je chemine de nouveau traînant à ma suite un énorme bagage de papiers, correspondances diplomatiques, notes confidentielles, lettres de ministres et de rois ; c’est l’histoire portée en croupe par le roman.

J’ai vu à Vesoul M. Augustin Thierry, retiré chez son frère le préfet[1]. Lorsque autrefois, à Paris, il m’envoya son Histoire de la conquête des Normands, je l’allai remercier. Je trouvai un jeune homme dans une chambre dont les volets étaient à demi fermés ; il était presque aveugle ; il essaya de se lever pour me recevoir, mais ses jambes ne le portaient plus et il tomba dans mes bras. Il rougit lorsque je lui exprimai mon admiration sincère : ce fut alors qu’il me répondit que

  1. Amédée-Simon-Dominique Thierry (1797-1873). Il avait été en 1810 précepteur des petits-neveux de Talleyrand, et avait publié avec un vif succès, en 1828, son Histoire des Gaulois. Après les journées de Juillet, il avait été nommé préfet de la Haute-Saône. Maître des requêtes au Conseil d’État en 1838, promu conseiller en service ordinaire en 1853, il fut appelé, par décret impérial du 18 janvier 1860, à siéger au Sénat. Il n’avait d’ailleurs pas cessé de se livrer à ses travaux historiques. Ses principaux ouvrages sont l’Histoire de la Gaule sous l’administration romaine (1840-1842) ; Récits et Nouveaux récits de l’histoire romaine (1860-1864) ; Saint-Jérôme, la Société chrétienne à Rome et l’émigration en Terre-Sainte (1867) ; l’Histoire d’Attila et de ses successeurs (1873).