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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Si je nie le principe, comment admettrais-je la conséquence ? Mieux aurait valu, tout bonnement, prêter mon serment à la Chambre des pairs. Il n’y a point de ma part mépris de la justice, j’honore les juges et je respecte les tribunaux : il y a seulement chez moi persuasion d’une vérité et d’un devoir dont je ne puis m’écarter.

Vous voyez que je n’argumente pas de l’illégalité de l’état de siège, illégalité flagrante : je remonte plus haut. L’état de siège est un très petit accident à la suite de la grande illégalité première, et cet accident est une conséquence forcée de cette grande illégalité.

J’ai dit dans mes derniers écrits que je reconnaissais l’ordre social existant en France, que j’étais obligé au paiement de l’impôt, etc. ; d’où il résulte que si j’étais accusé d’un crime social (meurtre, vol, attaque aux personnes ou aux propriétés, etc., etc.), je serais tenu de répondre et de reconnaître la compétence en matière sociale des tribunaux. Mais je suis accusé d’un crime politique, alors je n’ai plus rien à débattre.

Je conviens néanmoins que, dans le cas où le gouvernement me soupçonnerait coupable, à ses yeux, d’un délit politique, sa propre défense le conduirait à instruire contre moi et à prouver, s’il le pouvait, ma culpabilité. Mais moi, qui ne reconnais le gouvernement que comme gouvernement de fait, j’ai le droit, à mes risques et périls, de ne pas répondre. Mes accusateurs mêmes trouveraient dans mon silence un avantage, puisque je me priverais volontairement du plus puissant moyen de défense.

J’ai fondé mon refus de serment sur deux raisons : 1o la monarchie actuelle ne tire pas, selon moi, son droit par succession de l’ancienne monarchie ; 2o la monarchie actuelle ne tire pas, selon moi, son droit de la souveraineté populaire, puisqu’un congrès national n’a pas été assemblé pour décider de la forme du gouvernement.

Que j’aie tort ou raison, que ces théories puissent être plus ou moins hasardeuses et combattues, ce n’est pas là la question. J’ai une conviction, je la garde et j’y ferai tous les sacrifices, y compris celui de ma vie.

Ainsi, rien n’est plus logique que ma conduite envers M, le juge d’instruction. Je n’ai pu et je ne pourrais répondre à ses questions ; car, si je lui disais même mon nom quand il me le demande judiciairement, je reconnaîtrais, par cela même, la compétence d’un tribunal en matière politique, et, une fois la première question répondue, force me serait de répondre à toutes les questions subséquentes.

J’ai offert et j’offre encore de donner courtoisement, et en