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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

a éloigné les concurrents à son portefeuille. Mais enfin il faudra que je sorte d’ici ; je n’aspire plus qu’à rentrer dans ma solitude et à quitter la carrière politique. J’ai soif d’indépendance pour mes dernières années. Les générations nouvelles sont élevées, elles trouveront établies les libertés publiques pour lesquelles j’ai tant combattu : qu’elles s’emparent donc, mais qu’elles ne mésusent pas de mon héritage, et que j’aille mourir en paix auprès de vous.

« Je suis allé avant-hier me promener à la villa Panfili : la belle solitude ! »

« Rome, ce samedi 15 novembre.

« Il y a eu un premier bal chez Torlonia[1]. J’y ai rencontré tous les Anglais de la terre ; je me croyais encore ambassadeur à Londres. Les Anglaises ont l’air de figurantes engagées pour danser l’hiver à Paris, à Milan, à Rome, à Naples, et qui retournent à Londres après leur engagement expiré au

  1. Jean Torlonia, duc de Bracciano, le célèbre banquier romain dont Chateaubriand nous dira tout à l’heure la mort, arrivée le 24 février 1829. Il avait commencé par être brocanteur et commissionnaire. Mayer Rothschild, le juif de Francfort, avait édifié sa fortune sur les sommes déposées entre ses mains par l’Électeur de Hesse-Cassel, obligé de fuir ses États. À la même époque, Jean Torlonia commençait la sienne avec l’argent déposé chez lui par l’agent français Hugon de Basseville, massacré par la populace romaine le 13 janvier 1793, — argent qui fut du reste fidèlement rendu, comme le fut aussi celui de l’Électeur de Hesse-Cassel. Après avoir été l’homme d’affaires de la France, Torlonia devint plus tard le banquier de l’aristocratie romaine et de Mme Lœtitia, celui de Charles IV d’Espagne et de son favori Manuel Godoy. Pie VII lui conféra le titre de duc de Bracciano et le fit prince romain.