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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

francs de frais d’établissement[1], et qu’en sortant je dédaignai d’escamoter les fonds secrets ! Vous me parlez de ma fortune, pour éviter de me parler de la vôtre.

« — C’est vrai, dit le roi ; voici à mon tour ma confession : en mangeant mes capitaux par portions égales d’année en année, j’ai calculé qu’à l’âge où je suis, je pourrais vivre jusqu’à mon dernier jour sans avoir besoin de personne. Si je me trouvais dans la détresse, j’aimerais mieux avoir recours, comme vous me le proposez, à des Français qu’à des étrangers. On m’a offert d’ouvrir des emprunts, entre autres un de 30 millions qui aurait été rempli en Hollande ; mais j’ai su que cet emprunt, coté aux principales bourses en Europe, ferait baisser les fonds français ; cela m’a empêché

  1. Il n’est que juste de rappeler que M. de Villèle avait donné, lui aussi, l’exemple d’un pareil désintéressement. Appelé au mois de décembre 1820 à prendre part, comme ministre secrétaire d’État, aux délibérations du Conseil des ministres, il avait mis pour condition à son acceptation qu’il ne recevrait aucun traitement. — Nommé ministre des finances, en décembre 1821, il avait droit à une somme de 25 000 francs pour frais d’installation ; il la refusa. — Louis XVIII l’éleva, le 7 septembre 1822, à la dignité de président du Conseil. Un supplément de 50 000 francs de traitement annuel était attaché à ces fonctions : il le refusa. — Lorsqu’il sortit du ministère, en 1828, Charles X exigea de lui qu’il acceptât la pension du ministre d’État ; cette pension fut inscrite au grand livre. Il s’empressa d’y renoncer aussitôt après la révolution de 1830. Un petit fait peint mieux encore que ces actes la simplicité des mœurs de ce temps et le désintéressement modeste des hommes qui jouaient alors le principal rôle politique. Le 15 novembre 1821, à la veille d’être appelé au ministère des finances, M. de Villèle écrivait à sa femme, à Toulouse : « Vends toujours du maïs, de manière à avoir devant toi un millier de francs. » (Histoire de la Restauration par Alfred Nettement, t. V, p. 661.)