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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/103

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avez des serviteurs plus malheureux que moi. Vous m’avez tiré d’affaire pour les 20 000 francs qui me restaient encore de dettes sur mon ambassade de Rome, après les 10 000 autres que j’avais empruntés à votre grand ami M. Laffitte. — Je vous les devais, dit le roi, ce n’était pas même ce que vous aviez abandonné de vos appointements en donnant votre démission d’ambassadeur, qui, par parenthèse, m’a fait assez de mal. — Quoi qu’il en soit, sire, dû ou non, Votre Majesté, en venant à mon secours, m’a rendu dans le temps service, et moi je lui rendrai son argent quand je pourrai ; mais pas à présent, car je suis gueux comme un rat ; ma maison rue d’Enfer n’est pas payée. Je vis pêle-mêle avec les pauvres de madame de Chateaubriand, en attendant le logement que j’ai déjà visité, à l’occasion de Votre Majesté, chez M. Gisquet. Quand je passe par une ville, je m’informe d’abord s’il y a un hôpital ; s’il y en a un, je dors sur les deux oreilles ; le vivre et le couvert, en faut-il davantage ?

« — Oh ! ça ne finira pas comme ça. Combien, Chateaubriand, vous faudrait-il pour être riche ?

« — Sire, vous y perdriez votre temps ; vous me donneriez quatre millions ce matin, que je n’aurais pas un patard ce soir.

Le roi me secoua l’épaule avec la main : « — À la bonne heure ! Mais à quoi diable mangez-vous votre argent ?

« — Ma foi, sire, je n’en sais rien, car je n’ai aucun goût et ne fais aucune dépense : c’est incompréhensible ! Je suis si bête qu’en entrant aux affaires étrangères, je ne voulus pas prendre les 25 000