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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/107

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

passé politique, moral et religieux des peuples est né de ce pouvoir et se groupe autour de lui. Le sort d’une race aussi entrelacée à l’ordre social qui fut, aussi apparentée à l’ordre social qui sera, ne peut jamais être indifférent aux hommes. Mais, toute destinée que cette race ait à vivre, la condition des individus qui la forment et avec lesquels un sort ennemi n’aurait point fait trêve, serait déplorable. Dans un perpétuel malheur, ces individus marcheraient oubliés sur une ligne parallèle, le long de la mémoire glorieuse de leur famille.

Rien de plus triste que l’existence des rois tombés ; leurs jours ne sont qu’un tissu de réalités et de fictions : demeurés souverains à leur foyer, parmi leurs gens et leurs souvenirs, ils n’ont pas plutôt franchi le seuil de leur maison, qu’ils trouvent l’ironique vérité à leur porte : Jacques II ou Édouard VII, Charles X ou Louis XIX, à huis clos, deviennent, à huis ouvert, Jacques ou Édouard, Charles ou Louis, sans chiffre, comme les hommes de peine leurs voisins ; ils ont le double inconvénient de la vie de cour et de la vie privée : les flatteurs, les favoris, les intrigues, les ambitions de l’une ; les affronts, la détresse, le commérage de l’autre : c’est une mascarade continuelle de valets et de ministres, changeant d’habits. L’humeur s’aigrit de cette situation, les espérances s’affaiblissent, les regrets s’augmentent ; on rappelle le passé ; on récrimine ; on s’adresse des reproches d’autant plus amers que l’expression cesse d’être renfermée dans le bon goût d’une belle naissance et les convenances d’une fortune supérieure : on devient vulgaire par les souffrances vulgaires ; les soucis d’un