Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ils revinrent bientôt s’y replacer comme un diadème.

« Oh ! non, non, monsieur de Chateaubriand, me dit la princesse en me regardant et cessant son ouvrage, je ne suis pas reine. — Vous l’êtes, madame, vous l’êtes par les lois du royaume : monseigneur le dauphin n’a pu abdiquer que parce qu’il a été roi. La France vous regarde comme sa reine, et vous serez la mère de Henri V. »

La dauphine ne disputa plus : cette petite faiblesse, en la rendant à la femme, voilait l’éclat de tant de grandeurs diverses, leur donnait une sorte de charme et les mettait plus en rapport avec la condition humaine.

Je lus à haute voix ma lettre de créance, dans laquelle madame la duchesse de Berry m’expliquait son mariage, m’ordonnait de me rendre à Prague, demandait à conserver son titre de princesse française, et mettait ses enfants sous la garde de sa sœur.

La princesse avait repris sa broderie ; elle me dit après la lecture : « Madame la duchesse de Berry a raison de compter sur moi. C’est très bien, monsieur de Chateaubriand, très bien : je plains beaucoup ma belle-sœur, vous le lui direz. »

Cette insistance de madame la dauphine à dire qu’elle plaignait madame la duchesse de Berry, sans aller plus loin, me fit voir combien, au fond, il y avait peu de sympathie entre ces deux âmes. Il me paraissait aussi qu’un mouvement involontaire avait agité le cœur de la sainte. Rivalité de malheur ! La fille de Marie-Antoinette n’avait pourtant rien à craindre dans cette lutte ; la palme lui serait restée.