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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/154

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je lui présentai respectueusement les lettres de madame la duchesse de Berry ; elle les prit, les posa sur le canapé près d’elle, et me dit : « Asseyez-vous, asseyez-vous. » Puis elle recommença sa broderie avec un mouvement rapide, machinal et convulsif.

Je me taisais ; madame la dauphine gardait le silence : on entendait le piquer de l’aiguille et le tirer de la laine que la princesse passait brusquement dans le canevas, sur lequel je vis tomber quelques pleurs. L’illustre infortunée les essuya dans ses yeux avec le dos de sa main, et, sans relever la tête, elle me dit : « Comment se porte ma sœur ? Elle est bien malheureuse, bien malheureuse. Je la plains beaucoup, je la plains beaucoup. » Ces mots brefs et répétés cherchaient en vain à nouer une conversation dont les expressions manquaient aux deux interlocuteurs. La rougeur des yeux de la dauphine, causée par l’habitude des larmes, lui donnait une beauté qui la faisait ressembler à la Vierge du Spasimo.

« Madame, répondis-je enfin, madame la duchesse de Berry est bien malheureuse, sans doute ; elle m’a chargé de venir remettre ses enfants sous votre protection pendant sa captivité. C’est un grand soulagement de penser que Henri V retrouve dans Votre Majesté une seconde mère. »

Pascal a eu raison de mêler la grandeur et la misère de l’homme : qui pourrait croire que madame la dauphine comptât pour quelque chose ces titres de reine, de Majesté, qui lui étaient si naturels et dont elle avait connu la vanité ? Eh bien ! le mot de Majesté fut pourtant un mot magique ; il rayonna sur le front de la princesse dont il écarta un moment les nuages ;