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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

envie de lui dire des roses : Ρόδα μ’ εί ρηχας. (Aristophane.)

Je me mis à tirer l’horoscope de l’adolescente vendangeuse : vieillira-t-elle au pressoir, mère de famille obscure et heureuse ? Sera-t-elle emmenée dans les camps par un caporal ? Deviendra-t-elle la proie de quelque don Juan ? La villageoise enlevée aime son ravisseur autant d’étonnement que d’amour ; il la transporte dans un palais de marbre sur le détroit de Messine, sous un palmier au bord d’une source, en face de la mer qui déploie ses flots d’azur, et de l’Etna qui jette des flammes.

J’en étais là de mon histoire, lorsque ma compagne tournant à gauche sur une grande place, s’est dirigée vers quelques habitations isolées. Au moment de disparaître, elle s’est arrêtée ; elle a jeté un dernier regard sur l’étranger ; puis, inclinant la tête pour passer avec sa hotte sous une porte abaissée, elle est entrée dans une chaumière, comme un petit chat sauvage se glisse dans une grange parmi des gerbes. Allons retrouver dans sa prison Son Altesse Royale madame la duchesse de Berry.


Je la suivis, mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle[1].

  1. Voltaire n’a peut être rien écrit de plus charmant que ses vers sur l’Amitié :

    Du ciel alors daignant descendre,
    L’Amitié vint à mon secours.
    Elle était peut-être aussi tendre,
    Mais moins vive que les Amours.
    Épris de sa beauté nouvelle
    Et par sa lumière éclairé,
    Je la suivis, mais je pleurai
    De ne pouvoir plus suivre qu’elle.