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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

point dans mon île. Au fait, j’aurais dû vivre ainsi ; cette histoire de Vienne m’a toujours charmé : M. de Metternich ne l’a pas sans doute inventée ; il n’est pas assez mon ami pour cela.

J’ignore ce que le voyageur allemand aura dit de moi à sa femme, et s’il se sera empressé de la détromper sur ma caducité. Je crains d’avoir les inconvénients des cheveux noirs et des cheveux blancs, et de n’être ni assez jeune ni assez sage. Au surplus, je n’étais guère en train de coquetterie à Wiesenbach ; une bise triste gémissait sous les portes et dans les corridors de l’hôtellerie : quand le vent souffle, je ne suis plus amoureux que de lui.

De Wiesenbach à Heidelberg, on suit le cours du Necker, encaissé par des collines qui portent des forêts sur un banc de sable et de sulfate sanguine. Que de fleuves j’ai vus couler ! Je rencontrai des pèlerins de Walthuren : ils formaient deux files parallèles des deux côtés du grand chemin : les voitures passaient au milieu. Les femmes marchaient pieds nus, un chapelet à la main, un paquet de linge sur la tête ; les hommes nu-tête, le chapelet aussi à la main. Il pleuvait ; dans quelques endroits, les nues aqueuses rampaient sur le flanc des collines. Des bateaux chargés de bois descendaient la rivière, d’autres la remontaient à la voile ou à la traîne. Dans les brisures des collines étaient des hameaux parmi les champs, au milieu de riches potagers ornés de rosiers du Bengale et différents arbustes à fleurs. Pèlerins, priez pour mon pauvre petit roi : il est exilé, il est innocent ; il commence son pèlerinage quand vous accomplissez le vôtre et quand je finis le mien. S’il ne doit pas régner,