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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mon cœur pour l’interroger lorsqu’on dira : « Il ne bat plus. » Du bord de ma tombe, je voudrais pouvoir jeter en arrière un regard de satisfaction sur mes nombreuses années, comme un pontife arrivé au sanctuaire bénit la longue file des lévites qui lui servirent de cortège.

Louvois incendia le Palatinat ; malheureusement la main qui tenait le flambeau était celle de Turenne. La révolution a ravagé le même pays, témoin et victime tour à tour de nos luttes aristocratiques et plébéiennes. Il suffit des noms des guerriers pour juger de la différence des temps : d’un côté Condé, Turenne, Créqui, Luxembourg, La Force, Villars ; de l’autre, Kellermann, Hoche, Pichegru, Moreau. Ne renions aucun de nos triomphes ; les gloires militaires surtout n’ont connu que des ennemis de la France, et n’ont eu qu’une opinion : sur le champ de bataille, l’honneur et le péril nivellent les rangs. Nos pères appelaient le sang sorti d’une blessure non mortelle, sang volage : mot caractéristique de ce dédain de la mort, naturel aux Français dans tous les siècles. Les institutions ne peuvent rien changer à ce génie national. Les soldats qui, après la mort de Turenne, disaient : « Qu’on lâche la Pie, nous camperons où elle s’arrêtera », auraient parfaitement valu les grenadiers de Napoléon.

Sur les hauteurs de Dunkeim, premier rempart des Gaules de ce côté, on découvre des assiettes de camps et des positions militaires, aujourd’hui dégarnies de soldats : Burgondes, Francs, Goths, Huns, Suèves, flots du déluge des Barbares, ont tour à tour assailli ces hauteurs.

Non loin de Dunkeim, on aperçoit les éboulements