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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/214

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

leur génie et fait toucher au doigt et à l’œil la place à laquelle ils étaient éminemment propres. Tout le monde (amis et ennemis) m’envoyait auprès du duc de Bordeaux. Par les différentes combinaisons de mes opinions et de mes fortunes, par les ravages de la mort qui avait enlevé successivement les hommes de ma génération, je semblais être resté le seul au choix de la famille royale.

Je pouvais être tenté du rôle qu’on m’assignait ; il y avait de quoi flatter ma vanité dans l’idée d’être, moi serviteur inconnu, et rejeté des Bourbons, d’être l’appui de leur race, de tendre la main dans leurs tombeaux à Philippe-Auguste, saint Louis, Charles V, Louis XII, François Ier, Henri IV, Louis XIV ; de protéger de ma faible renommée le sang, la couronne et les ombres de tant de grands hommes, moi seul contre la France infidèle et l’Europe avilie.

Mais pour arriver là qu’aurait-il fallu faire ? ce que l’esprit le plus commun eût fait : caresser la cour de Prague, vaincre ses antipathies, lui cacher mes idées jusqu’à ce que je fusse à même de les développer.

Et, certes, ces idées allaient loin : si j’avais été gouverneur du jeune prince, je me serais efforcé de gagner sa confiance. Que s’il eût recouvré sa couronne, je ne lui aurais conseillé de la porter que pour la déposer au temps venu. J’eusse voulu voir les Capet disparaître d’une façon digne de leur grandeur. Quel beau, quel illustre jour que celui où, après avoir relevé la religion, perfectionné la constitution de l’État, élargi les droits des citoyens, rompu les derniers liens de la presse, émancipé les communes, détruit le monopole, balancé équitablement le salaire avec le travail, raf-