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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/263

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Quale nell’Arzaná dé Viniziani
Bolle l’inverno la tenace pece
A rimpalmar li legni lor non sani,

Che navicar non ponno, e’n quella vece
Chi fa suo legno nuovo, et chi ristoppa
Le coste a quel che più viaggi fece ;

Chi ribatte da proda, e chi da poppa ;
Altri fa remi, ed altii volge sarte ;
Chi terzeruolo ed artimon rintoppa[1].

Tout ce mouvement est fini ; le vide des trois quarts et demi de l’arsenal, les fourneaux éteints, les chaudières rongées de rouille, les corderies sans rouets, les chantiers sans constructeurs, attestent la même mort qui a frappé les palais. Au lieu de la foule des charpentiers, des voiliers, des matelots, des calfats, des mousses, on aperçoit quelques galériens qui traînent leurs entraves : deux d’entre eux mangeaient sur la culasse d’un canon ; à cette table de fer ils pouvaient du moins rêver la liberté.

Lorsque autrefois ces galériens ramaient à bord du Bucentaure, on jetait sur les épaules flétries une tunique de pourpre pour les faire ressembler à des rois fendant les flots avec des pagaies dorées ; ils réjouissaient leur labeur du bruit de leurs chaînes comme au Bengale, à la fête de Dourga, les bayadères, vêtues de gaze d’or, accompagnent leurs danses du son des anneaux dont leurs cous, leurs bras et leurs jambes sont ornés. Les forçats vénitiens mariaient le doge à la mer et renouvelaient eux-mêmes avec l’esclavage leur union indissoluble.

  1. L’Enfer chant xxi, vers 7-15.