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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Jérusalem : les minutieuses critiques des amis dont le Tasse consultait le goût le vinrent alarmer. Peut-être s’y montra-t-il trop sensible ; mais peut-être avait-il bâti sur l’espérance de sa gloire le succès de ses amours. Il se crut environné de pièges et de trahisons ; il fut obligé de défendre sa vie. Le séjour de Belriguardo, où Gœthe évoque son ombre[1], ne le put calmer : « De même que le rossignol (dit le grand poète allemand faisant parler le grand poète italien), il exhalait de son sein malade d’amour l’harmonie de ses plaintes ; ses chants délicieux, sa mélancolie sacrée, captivaient l’oreille et le cœur…

« .  .  .  .   Qui a plus de droits à traverser mystérieusement les siècles que le secret d’un noble amour, confié au secret d’un chant sublime ?…

« .  .  .  .   Qu’il est charmant (dit toujours Gœthe interprète des sentiments de Léonore), qu’il est charmant de se contempler dans le beau génie de cet homme, de l’avoir à ses côtés dans l’éclat de cette vie, d’avancer avec lui d’un pas facile vers l’avenir ! Dès lors le temps ne pourra rien sur toi, Léonore ; vivante dans les chants du poète, tu seras encore jeune, encore heureuse, quand les années t’auront emportée dans leur cours. »

Le chantre d’Herminie conjure Léonore (toujours dans les vers du poète de la Germanie) de le reléguer dans une de ses villa les plus solitaires : « Souffrez,

  1. Le drame de Torquato Tasso, par Gœthe, est une des plus belles œuvres du grand poète allemand. Si l’action est un peu languissante, ce défaut est largement racheté par la beauté du style, l’intérêt du dialogue et la profondeur du sentiment. Ce drame, comme l’Iphigénie en Tauride, du même poète, est écrit en vers iambiques.