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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

versité, et ne lui témoigna aucune compassion. À la même époque, Camoëns terminait sa vie dans un hospice à Lisbonne ; qui le consolait mourant sur un grabat ? les vers du prisonnier de Ferrare. L’auteur captif de la Jérusalem, admirant l’auteur mendiant des Lusiades, disait à Vasco de Gama : « Réjouis-toi d’être chanté par le poète qui tant déploya son vol glorieux, que tes vaisseaux rapides n’allèrent pas aussi loin. »

Tant’ oltre stende il glorioso volo
Che i tuoi spalmati legni andar men lungo.

Ainsi retentissait la voix de l’Éridan au bord du Tage ; ainsi, à travers les mers, se félicitaient d’un hôpital à l’autre, à la honte de l’espèce humaine, deux illustres patients de même génie et de même destinée.

Que de rois, de grands et de sots, aujourd’hui noyés dans l’oubli, se croyant, vers la fin du xvie siècle, des personnages dignes de mémoire, ignoraient jusqu’aux noms du Tasse et de Camoëns ! En 1754, on lut pour la première fois « le nom de Washington dans le récit d’un obscur combat donné dans les forêts entre une troupe de Français, d’Anglais et de sauvages : quel est le commis à Versailles, ou le pourvoyeur du Parc-aux-Cerfs, quel est surtout l’homme de cour ou d’académie qui aurait voulu changer son nom à cette époque contre le nom de ce planteur américain[1] ? »

  1. Mes Études historiques. Ch.