Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Sorrento : Joseph troqua bientôt le berceau du Tasse pour la tombe du Cid.

Enfin, de nos jours, une grande décoration funèbre est commencée en mémoire de l’Homère italien, jadis pauvre et errant comme l’Homère grec : l’ouvrage s’achèvera-t-il ? Pour moi, je préfère au tumulus de marbre la petite pierre de la chapelle dont j’ai parlé ainsi dans l’Itinéraire : « Je cherchai (à Venise, 1806), dans une église déserte, le tombeau de ce dernier peintre (le Titien) et j’eus quelque peine à le trouver : la même chose m’était arrivée à Rome (en 1803) pour le tombeau du Tasse. Après tout, les cendres d’un poète religieux et infortuné ne sont pas trop mal placées dans un ermitage. Le chantre de la Jérusalem semble s’être réfugié dans cette sépulture ignorée, comme pour échapper aux persécutions des hommes ; il remplit le monde de sa renommée et repose lui-même inconnu sous l’oranger[1] de Saint-Onufre. »

La commission italienne chargée des travaux nécrolithes me pria de quêter en France et de distribuer les indulgences des Muses à chaque fidèle donateur de quelques deniers au monument du poète. Juillet 1830 est arrivé ; ma fortune et mon crédit ont pris de la destinée des cendres du Tasse. Ces cendres semblent posséder une vertu qui rejette toute opulence, repousse tout éclat, se dérobe à tous honneurs ; il faut de grands tombeaux aux petits hommes et de petits tombeaux aux grands.

Le Dieu qui rit de tous mes songes, me précipitant

  1. J’ai eu raison de dire l’oranger. C’est un oranger qui est dans les préaux de Saint-Onufre. (Note de Paris, 1840.) Ch.